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Quand le militantisme LGBT se radicalise : entre dérives et questionnements

Lueur.png(Analyse critique d’un phénomène qui divise jusqu’au sein de la communauté elle-même)


Introduction : Un mouvement en pleine mutation

Dans les années 1970, le Front homosexuel d’action révolutionnaire (FHAR) incarnait la jonction entre luttes homosexuelles et aspirations post-68. Cinquante ans plus tard, le militantisme LGBT a profondément changé.
Et le paradoxe est cruel : alors que les droits n’ont jamais été aussi reconnus, le discours militant paraît se durcir, se fragmenter, et parfois même s’autodévorer.
Bienvenue dans l’ère du radicalisme identitaire, où l’inclusivité devient parfois un instrument d’exclusion.


I. L’inflation des acronymes : quand tout le monde veut sa lettre

Le sigle « LGBT » s’est transformé en véritable champ de bataille linguistique. On trouve aujourd’hui :

  • LGBTQIA2+ au Canada ¹ ;

  • LGBTI+ dans les institutions européennes ;

  • et même 2SLGBTQI+, intégrant le concept bispirituel issu des cultures autochtones.

Chaque lettre symbolise une avancée, mais aussi une nouvelle fracture potentielle. Cette multiplication reflète une tendance : la course à la spécificité identitaire, où chaque groupe exige sa reconnaissance propre.
Noble principe, certes — jusqu’à ce que la mosaïque devienne un kaléidoscope impossible à unir.

« Je suis pan donc ça me fait de la peine LGBT. » — commentaire anonyme sur Wikipédia, 2023


II. Les “Pink Blocs” : quand l’antifascisme rencontre la fierté

L’épisode lyonnais de 2019 illustre cette mutation : des militants dits “radicaux”, organisés en Pink Bloc, ont bloqué un char lors de la Marche des Fiertés, reprochant à l’événement d’être “trop festif, pas assez politique”.
Résultat : tensions, affrontements et rupture durable entre organisateurs historiques et activistes intersectionnels ².

Le symbole est fort : des militants LGBT empêchant d’autres militants LGBT de défiler pour leurs droits.
Le serpent arc-en-ciel se mord la queue.


III. Cancel culture et purisme moral : la tentation du bûcher

Le cas J.K. Rowling ³ est devenu emblématique : l’autrice, accusée de transphobie après une série de tweets, a subi boycotts, menaces et désinvitation d’événements.

Même des militants historiques, comme Philippe Dubreuil (ex-président du Forum Gay et Lesbien de Lyon), se sont vu traiter de “fascistes” pour avoir évoqué l’homophobie persistante dans certaines communautés religieuses.
Ce climat rappelle une inquisition 2.0, où chaque tweet devient pierre de lapidation.

« L’enfer du militantisme, c’est parfois les autres militants. » — un activiste anonyme, Lyon 2022


IV. L’argent du militantisme : croissance ou inflation idéologique ?

Selon l’Equitable Giving Lab, les financements LGBTQ+ aux États-Unis ont plus que doublé en dix ans :
de 387 M $ (2012) à ≈ 909 M $ (2022) ⁴.
Pourtant, ces dons ne représentent toujours que 0,16 % de la philanthropie américaine ⁵.

Certaines grandes ONG, comme GLAAD, ont vu leurs revenus multipliés par 3 à 5 entre 2014 et 2023 ⁶.
D’où une question légitime : quand la plupart des droits fondamentaux sont acquis, faut-il inventer de nouveaux combats pour continuer d’exister ?

Une part significative de ces financements provient désormais de grandes entreprises technologiques et multinationales.
Si cette visibilité accrue témoigne d’un changement culturel, elle soulève aussi la question du pinkwashing : l’utilisation de la cause LGBT comme vitrine progressiste sans transformation réelle des pratiques internes.


V. “La science est tranchée” : la dérive scientiste du débat de genre

En 2023, GLAAD lança une campagne visant le New York Times après plusieurs articles jugés “transphobes”, exigeant un changement de ligne éditoriale et affirmant que “the science is settled” ⁷.
Problème : aucun consensus absolu n’existe sur les traitements médicaux de la dysphorie de genre chez les mineurs.

Le journaliste Jesse Singal dans The Atlantic souligne :

“Affirmer que la science est tranchée sur un sujet aussi complexe que la transition médicale des jeunes, c’est abandonner la science au profit du dogme.”

Même la Cour suprême américaine a validé en juin 2025 la loi du Tennessee interdisant certains traitements hormonaux pour mineurs ⁹, preuve que le débat reste ouvert et sensible.


VI. L’état d’urgence permanent : le militantisme sous adrénaline

En 2023, la Human Rights Campaign (HRC) a déclaré pour la première fois un “State of Emergency” pour les personnes LGBTQ+ ¹⁰.
L’ironie : aucune alerte comparable n’avait été lancée durant la crise du sida ni face aux lois anti-mariage des années 2000.

L’urgence est aujourd’hui politique — centrée sur les législations anti-genre — mais cette inflation du catastrophisme entretient un climat de mobilisation émotionnelle permanente.


VII. Féminisme radical contre transidentités : la guerre des “vraies femmes”

Les TERF (Trans-Exclusionary Radical Feminists) contestent la légitimité des femmes trans au nom d’un féminisme biologique.
Rien de neuf : dès les années 1970, des figures comme Janice Raymond ¹¹ accusaient déjà la transition d’“appropriation de la féminité”.
Aujourd’hui encore, le fossé reste profond entre mouvances queer et féministes classiques.


VIII. Universités, militantisme et autocensure

Des étudiants américains et canadiens décrivent un climat de sur-vigilance idéologique : professeurs sanctionnés pour “mauvais pronommage”, conférences annulées, débats interdits.
Ce glissement du militantisme vers la police morale inquiète jusque dans les cercles progressistes ¹².


IX. Homonationalisme : quand la fierté sert le nationalisme

Concept formulé par Jasbir Puar ¹³, l’homonationalisme désigne la récupération du discours LGBT par des partis nationalistes pour opposer un “Occident tolérant” à un “Islam homophobe”.
Des leaders comme Geert Wilders ou feu Pim Fortuyn ont instrumentalisé ce clivage, attirant une partie de l’électorat gay.
Un paradoxe brutal : la lutte pour la tolérance devient un outil d’exclusion.

Ce processus entraîne aussi une invisibilisation des personnes LGBT issues de l’immigration : celles qui subissent à la fois racisme et homophobie se retrouvent souvent hors champ, exclues du récit national comme des priorités militantes.


X. Entre droitisation et radicalisation : le grand écart

Le mouvement LGBT semble déchiré entre deux pôles :

  • Droitisation, portée par une lassitude du discours victimaire et une recherche de stabilité ;

  • Radicalisation woke, où toute critique interne devient “trahison”.

En France, SOS Homophobie et le ministère de l’Intérieur relèvent une hausse de 13 % des infractions anti-LGBT entre 2022 et 2023 ¹⁴.
La violence persiste, mais certains observateurs dénoncent une instrumentalisation émotionnelle servant parfois de carburant à une intolérance croissante au débat.


Conclusion : retrouver la légèreté du combat

Le paradoxe est cruel : plus les droits progressent, plus le discours militant se raidit.
Comme si, privé d’ennemi extérieur, le mouvement cherchait à désigner des ennemis intérieurs.

Pourtant, des alternatives existent :
Des associations comme Inter-LGBT, Rainbow Railroad ou OutRight International travaillent à maintenir un dialogue entre militants, institutions et communautés locales sans sombrer dans le dogmatisme.
En France, des collectifs émergent pour retisser les liens entre générations, entre drapeaux, entre nuances politiques — preuve qu’un militantisme lucide et apaisé reste possible.

Quelques repères pour l’avenir :

  • La normalisation n’est pas une défaite. L’intégration sociale peut coexister avec la créativité queer.

  • Le débat n’est pas l’ennemi. Sans contradiction, pas de démocratie.

  • L’identité n’est pas l’absolu. Nos appartenances ne doivent pas étouffer notre humanité commune.

  • La vigilance ne doit pas devenir paranoïa. Le danger existe, mais il ne justifie pas le dogme.

Le mouvement LGBT gagnerait peut-être à retrouver ce qui faisait sa force initiale : l’humour, la subversion et l’autodérision.

« Tout dans la vie est une question de modération, y compris la modération elle-même. »
Oscar Wilde (fin XIXᵉ siècle)


Notes et sources principales

  1. Gouvernement du Canada – Terminologie officielle : 2SLGBTQI+ Community

  2. Le Progrès (2019) : “Lyon : tensions entre Pink Bloc et organisateurs de la Marche des Fiertés”

  3. BBC News (2020) : “JK Rowling’s Trans Tweets Controversy Explained”

  4. Equitable Giving Lab (2023) – Annual LGBTQ Philanthropy Report

  5. Giving Compass (2023) : “Only 0.16 % of US Charitable Giving Supports LGBTQ Groups”

  6. ProPublica Nonprofit Explorer – rapports IRS 990 de GLAAD 2014-2023

  7. GLAAD (2023) : “Dear New York Times: Stop Questioning Trans People”

  8. The Atlantic – J. Singal (2024) : “The Gay Rights Movement Is Running Out of Enemies”

  9. United States v. Skrmetti, Supreme Court Decision (June 18 2025)

  10. Human Rights Campaign (2023) : LGBTQ State of Emergency in the US

  11. J. Raymond (1979) : The Transsexual Empire – The Making of the She-Male

  12. FIRE (Foundation for Individual Rights and Expression) – Campus Free Speech Reports 2023

  13. J. Puar (2007) : Terrorist Assemblages: Homonationalism in Queer Times

  14. Ministère de l’Intérieur (FR) & SOS Homophobie – Rapport 2024